Le Mercredi 30 Mai 2012 par Ray Flex
Il y a 21 ans, je traversais le pont de la République de Besançon la mort dans l'âme. Il y a 21 ans, j'allais ce matin là au collège Lumière... les feux éteints. Il y a 21 ans nous étions le jeudi 30 mai 1991, et mon monde venait de s'écrouler. LE monde venait de s'écrouler, à l'instar de mon pote Stéphane qui a littéralement éclaté en sanglots dans mes bras alors qu'une dizaine de mètres nous séparaient de l'entrée du collège. Il y a 21 ans je pleurais aussi, comme une intarissable fontaine de tristesse. Il y a 21 ans j'en avais 15, et Basile m'a marqué de manière indélébile au fer rouge. Il y a 21 ans, c'était Bari.
(Photo Onze Mondial, Domaine Public)
24 heures plus tôt l'ambiance n'était bien entendu pas la même, loin de là. A notre insouciance se mêlait une agréable sensation d'euphorie, comment l'OM ne pouvait-il pas être Champion d'Europe ce soir là ? Le grand AC Milan écarté, Moscou explosé et surtout pas de Bayern en finale, comment pouvait-il en être autrement ?
Habitant à 500 kilomètres du Vélodrome, j'avais malgré tout réussi à insuffler à certains de mes camarades de classe le Mistral Olympien, l'intérêt à défaut de l'amour pour ce club hors du commun qu'est l'OM. Et qui ce soir là allait, devait que dis-je, sans trembler remporter la plus que prestigieuse Coupe d'Europe des Clubs Champions. Un an après la main de Vata, à nous d'être sur le toit de l'Europe. Et cette équipe le méritait plus que tout.
Mercredi 29 mai, 12h00. Intenables toute la matinée, il fut ce matin là impossible pour nos profs de nous faire travailler. Les "non-footeux" se sont joints à notre délicieuse bande de fous, non pour seulement partager un moment autour du sport mais parce que je suis contagieux. Nous sommes contagieux. En même temps je suis une sorte de leader naturel à l'époque, la classe vit un peu au rythme de mes conneries. Soyons honnête. Vu que nous sommes en fin d'année et que se profile à l'horizon le BEPC, les profs l'ont un peu mauvaise. Mais comment faire cours quand une classe se met à chanter "Allez l'OM" en pleine révisions ?
Dans l'après-midi, ma brave femme de mère aura une bien drôle d'initiative. A ce moment, elle n'est pas encore la sympathisante de l'OM qu'elle deviendra quelques heures plus tard. Alors peu au fait de certaines choses, elle a l'idée plus que saugrenue de m'offrir un polo... rouge ! Comme je suis un gentil garçon, mine de rien, je le revêts quelques minutes pour lui faire plaisir. Vu que je porte ce jour là un pantalon blanc (à la base accordé avec un polo bleu), me voilà donc habillé avec les couleurs de Belgrade. Depuis, j'ai définitivement assimilé l'étendue de la signification du mot "superstition" d'ailleurs. Je n'ai plus jamais porté ce polo rouge, au grand dam de la p'tite dame...
Mercredi 29 mai, 22h50. Après deux heures d'un combat étouffant, verrouillé, deux heures au cours desquelles l'OM s'est créé les occasions pour ramener la coupe aux grandes oreilles sur le Vieux Port mais n'a su les concrétiser, Darko Pancev s'élance pour tirer le cinquième et dernier pénalty yougoslave de cette foutue séance qu'on veut tous oublier. Déjà. Alors qu'elle n'est pas finie. Le trio Prosinecki-Pancev-Savicevic a été éteint par l'arrière garde marseillaise, mais son plus que génial pendant olympien Papin-Pelé-Waddle n'a pas été plus brillant. Lui aussi cadenassé par l'intelligence tactique de Ljupko Petrovic, mais aussi par le trident Jugovic-Prosinecki-Mihajlovic qui ferme intelligemment le milieu de terrain, à l'image de ce que Raymond Goethals a mis en place ce soir-là... mais avec sa défense à trois centraux : Mozer devant Boli et Casoni. Amoros et Di Méco verrouillent les ailes et les faibles velléités offensives de Binic et Pancev ne font trembler personne. Finalement l'OM a plus peur de perdre qu'autre chose et, empêtré dans cette foutue toile d'araignée yougoslave, l'OM n'est pas l'OM. Son jeu d'ordinaire si léché est râpeux, la bonne volonté ne suffisant pas à s'extirper de ce même piège qui a mis le grand Bayern hors-course au tour précédent.
Et petit à petit le Stadio San Nicola de Bari, au cœur de la cité des Pouilles, voit arriver nos dépouilles.
Plus de vingt ans après on se demande encore comment Jean-Pierre Papin rate sa volée à dix mètres du but de Stojanovic, comment notre Chris "Magic" Waddle (certainement à bout de force) ne cadre pas sa tête sur cet excellent centre de Philippe Vercruysse (entré bien trop tard dans le match) à la 120ème minute, pourquoi Dragan "Pixie" Stojkovic n'est entré qu'à la 111ème en remplacement de Di Méco alors que Belgrade n'attaquait plus depuis des lustres ? Le bijou yougoslave, plus gros transfert de l'histoire du football à l'époque, est là depuis le début de la saison en provenance de... l'Etoile Rouge de Belgrade ! Certes blessé au genou tout au long de cette année, il n'en n'est pas moins sur pieds le jour J et prêt à en découdre avec ses anciens partenaires. Toutes proportions gardées, la similitude avec JPP deux ans plus tard est finalement assez frappante. Perdre une finale contre son ancien club, ses anciens coéquipiers doit être douloureux. Mais pas autant que cette image d'un Manu Amoros, valeureux combattant et latéral droit plus que talentueux, rater son péno. Car on ne peut guère parler d'un arrêt de génie de Stevan Stojanovic, loin de là. Réputé pour son sang froid, Manu a tergiversé. Et a frappé dans les gants du portier de Belgrade alors que Prosinecki a commencé en battant un Pascal Olmeta peu à l'aise dans cet exercice. L'Etoile Rouge fait la course en tête. Binic, Casoni, Belodevic, Papin, Mihajlovic et Mozer réussissent leurs tirs. 4-3 pour Belgrade. Il est 22h50, donc. Si Darko Pancev marque...
Jeudi 30 mai, 08h00. Un silence de plomb règne dans la classe. Les "non-footeux" nous foutent une paix royale. Nos profs aussi d'ailleurs. Nous sommes quelques uns à avoir les yeux rougis, non par l'effet secondaire des cigarettes qui font rire, mais d'infinie tristesse. A l'image d'un inconsolable Basile cherchant en vain une improbable De Lorean sur la pelouse de Bari pour revenir au coup d'envoi. On refait le match dix fois, cent fois, mille fois. On ne joue pas avec cinq défenseurs pour un seul attaquant yougoslave, on titularise Pixie, mais la vérité, cruelle, douloureuse, inimaginable est bien là : on l'a perdue pour toujours cette putain de finale. Si bien on aurait pu jouer pendant treize jours qu'on n'aurait jamais marqué ce soir-là, pas avec cette configuration tactique. C'était écrit.
Cette année 91 continuera dans la tristesse, le titre de Champion (le troisième consécutif) n'ôtant aucunement l'amertume d'une nouvelle finale perdue quelque jours plus tard en Coupe de France face à Monaco (0-1), ni même le dernier coup de pied au cul que je me prends à la rentrée scolaire. A peine arrivé dans mon nouveau lycée, je découvre avec effarement que sur les huit gars que nous sommes dans cette classe, je suis assis à côté d'un... Stojanovic ! Ça aussi, c'était écrit...
(Photo Onze Mondial, Domaine Public)
24 heures plus tôt l'ambiance n'était bien entendu pas la même, loin de là. A notre insouciance se mêlait une agréable sensation d'euphorie, comment l'OM ne pouvait-il pas être Champion d'Europe ce soir là ? Le grand AC Milan écarté, Moscou explosé et surtout pas de Bayern en finale, comment pouvait-il en être autrement ?
Habitant à 500 kilomètres du Vélodrome, j'avais malgré tout réussi à insuffler à certains de mes camarades de classe le Mistral Olympien, l'intérêt à défaut de l'amour pour ce club hors du commun qu'est l'OM. Et qui ce soir là allait, devait que dis-je, sans trembler remporter la plus que prestigieuse Coupe d'Europe des Clubs Champions. Un an après la main de Vata, à nous d'être sur le toit de l'Europe. Et cette équipe le méritait plus que tout.
Mercredi 29 mai, 12h00. Intenables toute la matinée, il fut ce matin là impossible pour nos profs de nous faire travailler. Les "non-footeux" se sont joints à notre délicieuse bande de fous, non pour seulement partager un moment autour du sport mais parce que je suis contagieux. Nous sommes contagieux. En même temps je suis une sorte de leader naturel à l'époque, la classe vit un peu au rythme de mes conneries. Soyons honnête. Vu que nous sommes en fin d'année et que se profile à l'horizon le BEPC, les profs l'ont un peu mauvaise. Mais comment faire cours quand une classe se met à chanter "Allez l'OM" en pleine révisions ?
Dans l'après-midi, ma brave femme de mère aura une bien drôle d'initiative. A ce moment, elle n'est pas encore la sympathisante de l'OM qu'elle deviendra quelques heures plus tard. Alors peu au fait de certaines choses, elle a l'idée plus que saugrenue de m'offrir un polo... rouge ! Comme je suis un gentil garçon, mine de rien, je le revêts quelques minutes pour lui faire plaisir. Vu que je porte ce jour là un pantalon blanc (à la base accordé avec un polo bleu), me voilà donc habillé avec les couleurs de Belgrade. Depuis, j'ai définitivement assimilé l'étendue de la signification du mot "superstition" d'ailleurs. Je n'ai plus jamais porté ce polo rouge, au grand dam de la p'tite dame...
Mercredi 29 mai, 22h50. Après deux heures d'un combat étouffant, verrouillé, deux heures au cours desquelles l'OM s'est créé les occasions pour ramener la coupe aux grandes oreilles sur le Vieux Port mais n'a su les concrétiser, Darko Pancev s'élance pour tirer le cinquième et dernier pénalty yougoslave de cette foutue séance qu'on veut tous oublier. Déjà. Alors qu'elle n'est pas finie. Le trio Prosinecki-Pancev-Savicevic a été éteint par l'arrière garde marseillaise, mais son plus que génial pendant olympien Papin-Pelé-Waddle n'a pas été plus brillant. Lui aussi cadenassé par l'intelligence tactique de Ljupko Petrovic, mais aussi par le trident Jugovic-Prosinecki-Mihajlovic qui ferme intelligemment le milieu de terrain, à l'image de ce que Raymond Goethals a mis en place ce soir-là... mais avec sa défense à trois centraux : Mozer devant Boli et Casoni. Amoros et Di Méco verrouillent les ailes et les faibles velléités offensives de Binic et Pancev ne font trembler personne. Finalement l'OM a plus peur de perdre qu'autre chose et, empêtré dans cette foutue toile d'araignée yougoslave, l'OM n'est pas l'OM. Son jeu d'ordinaire si léché est râpeux, la bonne volonté ne suffisant pas à s'extirper de ce même piège qui a mis le grand Bayern hors-course au tour précédent.
Et petit à petit le Stadio San Nicola de Bari, au cœur de la cité des Pouilles, voit arriver nos dépouilles.
Plus de vingt ans après on se demande encore comment Jean-Pierre Papin rate sa volée à dix mètres du but de Stojanovic, comment notre Chris "Magic" Waddle (certainement à bout de force) ne cadre pas sa tête sur cet excellent centre de Philippe Vercruysse (entré bien trop tard dans le match) à la 120ème minute, pourquoi Dragan "Pixie" Stojkovic n'est entré qu'à la 111ème en remplacement de Di Méco alors que Belgrade n'attaquait plus depuis des lustres ? Le bijou yougoslave, plus gros transfert de l'histoire du football à l'époque, est là depuis le début de la saison en provenance de... l'Etoile Rouge de Belgrade ! Certes blessé au genou tout au long de cette année, il n'en n'est pas moins sur pieds le jour J et prêt à en découdre avec ses anciens partenaires. Toutes proportions gardées, la similitude avec JPP deux ans plus tard est finalement assez frappante. Perdre une finale contre son ancien club, ses anciens coéquipiers doit être douloureux. Mais pas autant que cette image d'un Manu Amoros, valeureux combattant et latéral droit plus que talentueux, rater son péno. Car on ne peut guère parler d'un arrêt de génie de Stevan Stojanovic, loin de là. Réputé pour son sang froid, Manu a tergiversé. Et a frappé dans les gants du portier de Belgrade alors que Prosinecki a commencé en battant un Pascal Olmeta peu à l'aise dans cet exercice. L'Etoile Rouge fait la course en tête. Binic, Casoni, Belodevic, Papin, Mihajlovic et Mozer réussissent leurs tirs. 4-3 pour Belgrade. Il est 22h50, donc. Si Darko Pancev marque...
Jeudi 30 mai, 08h00. Un silence de plomb règne dans la classe. Les "non-footeux" nous foutent une paix royale. Nos profs aussi d'ailleurs. Nous sommes quelques uns à avoir les yeux rougis, non par l'effet secondaire des cigarettes qui font rire, mais d'infinie tristesse. A l'image d'un inconsolable Basile cherchant en vain une improbable De Lorean sur la pelouse de Bari pour revenir au coup d'envoi. On refait le match dix fois, cent fois, mille fois. On ne joue pas avec cinq défenseurs pour un seul attaquant yougoslave, on titularise Pixie, mais la vérité, cruelle, douloureuse, inimaginable est bien là : on l'a perdue pour toujours cette putain de finale. Si bien on aurait pu jouer pendant treize jours qu'on n'aurait jamais marqué ce soir-là, pas avec cette configuration tactique. C'était écrit.
Cette année 91 continuera dans la tristesse, le titre de Champion (le troisième consécutif) n'ôtant aucunement l'amertume d'une nouvelle finale perdue quelque jours plus tard en Coupe de France face à Monaco (0-1), ni même le dernier coup de pied au cul que je me prends à la rentrée scolaire. A peine arrivé dans mon nouveau lycée, je découvre avec effarement que sur les huit gars que nous sommes dans cette classe, je suis assis à côté d'un... Stojanovic ! Ça aussi, c'était écrit...