Didier Roustan, le dernier des Mohicans

Le Mardi 17 Septembre 2024 par



"Il est parti, mais il sera toujours là" réagissait Didier Roustan au sujet du décès de Diego Maradona. Quelques années plus tard, c'est au tour de son admirateur et du meilleur conteur de ses exploits de disparaître. Un symbole du journalisme sportif français s'en est donc allé. L'auteur de ces lignes a eu le grand honneur dans son parcours d'être adoubé par cette légende et j'y reviendrai. On dit souvent qu'un journaliste sportif raconte avant tout les exploits de ceux qu'il aurait rêvé d'être. Tous ceux qui caressent le rêve de devenir un jour journalistes sportifs, qu'ils le sachent ou non d'ailleurs selon leur époque, rêveraient sans doute d'être Didier Roustan sous l'un de ses aspects. D'interviewer des mastodontes de la trempe de Pelé ou Crujff ou de se faire photographier avec Baggio et son ballon d'or. De côtoyer de très près, au point de se lier d'amitié avec eux, des légendes de ce sport comme Maradona ou Cantona. Tous ces noms gravés à jamais dans le marbre du football. De faire le tour du monde par son métier, avec la passion pour le football comme seule boussole. Pour les fans de l'OM, de réaliser un reportage intimiste avec les joueurs de l'une des plus grandes équipes de l'histoire du club, en ayant un loup pour compagnon. Un précurseur, à l'origine de l'émission Téléfoot, mais pas uniquement. Didier Roustan c'est avant tout un style et une originalité, une ôde vivante à sa vision éperdument et si purement amoureuse du football. Une voix inimitable au service d'une impertinence, d'une liberté de ton et de création. Un journaliste à cheval sur deux siècles de football, qui a connu et touché plusieurs générations d'amoureux du ballon rond. 

C'est en 2015, année de la démission fracassante de Marcelo Bielsa de l'OM, que j'ai eu la chance d'être touché par la grâce du "President à vie de l'Equipe" Didier Roustan. J'analysais a ce moment précis (dans un article intitulé "S'il devait ne rester qu'un seul homme") les multiples raisons du départ de Marcelo Bielsa, alors l'objet de toutes les spéculations dans les médias, ainsi que l'impact de son passage et par anticipation de sa démission sur le club. Mon analyse sera confirmée ensuite par la stratégie de l'OM et ses répercussions désastreuses sur le club, puis par le principal intéressé plusieurs années plus tard. Didier Roustan avait lui déjà tout compris. Il consacrera spontanément dès la publication de l'article, dans son style si particulier, une vidéo sur le site de L'Équipe où il me citera nommément à plusieurs reprises. Il recommandera ensuite mon article en une de son blog, avec en appui le texte de Rudyard Kipling "Tu seras un homme mon fils". J'invite au passage tous mes lecteurs à consulter ce dernier afin de lui rendre hommage. S'agissant de l'OM, celui qui avait durant sa carrière tenu tête à Bernard Tapie n'était contrairement à beaucoup de ses confrères jamais hautain ni aigri. Là où tous ou presque me lisaient sans jamais me relayer ni me soutenir face à la censure. Là où les médias (dont Le Phocéen localement ou TF1 et l'émission Téléfoot, clin d'œil de l'histoire quand on connaît son rôle dans son essor) me privaient de l'exercice d'un journalisme opposé à des décisions contraires à l'intérêt de l'OM, lui m'offrait de me régénérer. Une visibilité et un soutien sans failles, qui ne se démentira pas pendant plusieurs années et quasiment à chaque analyse sur l'OM de ma part. "Comme toujours, le corbeau croasse juste" aimait-il dire. Spontanément et sans contrepartie. Sachant que j'en faisais de même par seule passion pour l'OM, j'y étais forcément sensible et j'avais à chaque fois pour lui une reconnaissance aussi timide qu'infinie, que je souhaite exprimer ici. Aujourd'hui, ses mots résonnent d'autant plus fort en moi que son décès me touche. 

Au XXIe siècle apparaissait le roman "Le dernier des Mohicans", réadapté ensuite au cinéma dans plusieurs films éponymes. Une réflexion mélancolique sur la disparition des amérindiens, qui a annoncé la version moderne des États-Unis. Didier Roustan est décédé le lendemain de l'élection de Vincennes Labrune à la LFP. L'ardent défenseur du football populaire qu'il était et des multiples ingrédients si simples et indissociables qui font la beauté et l'essence même de ce sport aurait sans doute eu beaucoup à redire au sujet de cet ex-président de l'OM, qui qualifiera le soir même de son élection le football de "premium", tel un produit quelconque.
La référence cinématographique présente dans cet article ferait sans doute plaisir à celui qui se décrivait dans l'une de ses interviews comme descendant de la tribue des Arawaks, indiens qui étaient présents aux Antilles. Avec lui, c'est une vision profondément enracinée et salvatrice du football, une mémoire vivante et tout un pan de l'histoire du journalisme sportif qui disparaît. L'OM ne s'y est pas trompé en lui rendant hommage.

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