Le Jeudi 17 Novembre 2022 par Lodimaster
L'histoire d'Igor Tudor avec l'OM a démarré dans l'incompréhension la plus totale. Des disputes bruyantes avec des joueurs à l'entraînement, le départ rapide de Camoranesi de son staff, et surtout des matchs amicaux inquiétants tant par leur contenu que leurs résultats ! 21 matchs officiels plus tard, le coach croate nous est bien plus familier, peut-être parce que, par bien des aspects, il se rapproche d'un des membres de la famille des coachs olympiens les plus appréciés de l'histoire de l'OM : Marcelo Bielsa !
Igor Tudor n'est pas arrivé à Marseille avec des références et une réputation d'entraîneur qui permettait à la plupart d'entre nous d'avoir un avis tranché sur sa philosophie de jeu et ses principes, ni même un espoir d'y fonder une ambition particulière. Semaine après semaine, plus je vois l'OM évoluer sous ses ordres, plus j'y vois de points communs avec Bielsa.
Principes de jeu
Marcelo Bielsa et Igor Tudor n'ont pas vraiment le même schéma de jeu à l'OM et c'est tant mieux puisque depuis 2014-2015 le football a évolué. Si Tudor aligne systématiquement son 3-4-2-1, Bielsa avait pour schéma préférentiel le 4-2-3-1 qu'il alternait, j'en reparlerai plus loin, avec le 3-3-3-1. Pourtant, les deux techniciens ont bien plus de principes de jeu communs que Sampaoli n'en avait avec son prédécesseur argentin.
En premier lieu, le pressing demandé à la perte de balle est assez comparable, même si celui prôné par Bielsa était plus tout terrain que celui mis en place par l'ancien défenseur croate qui souhaite garder dans cette phase un bloc plus compact. Mais comme on voyait un André Ayew, un Thauvin ou un Dja Djédjé multiplier les courses à hautes intensités dans cet exercice, on trouve aujourd'hui un Alexis Sanchez, un Amine Harit, un Mattéo Guendouzi, ou Nuno Tavares pour le reproduire. Dans cette façon de défendre en avançant, typiquement dans l'ADN de l'OM, on retrouve aussi cette similitude. Souvenez-vous des anticipations de Nkoulou pour passer devant l'attaquant adverse et intercepter le ballon ! Avec Tudor, nous avons souvent Balerdi dans ce rôle et quand il n'est pas blessé c'est Bailly qui y officie brillamment.
Lors de son arrivée à l'OM, Marcelo Bielsa avait expliqué, qu'après avoir décortiqué 48 matchs des joueurs marseillais, il avait découvert que Morel était le meilleur joueur de tête de l'effectif. Pour cette raison, il avait replacé celui qui était jusqu'ici défenseur latéral dans l'axe de la défense. Dans le même registre, alors que l'on pouvait penser que Kolašinac serait en concurrence avec Nuno Tavares dans le couloir gauche de la défense, Igor Tudor a choisi de le replacer sur le côté gauche de sa défense centrale à 3. Dans les deux cas, je trouve que c'est à l'avantage du rendement des joueurs replacés.
Toujours dans le secteur défensif, les deux entraîneurs ont également en commun le marquage individuel strict qu'ils font pratiquer à leurs défenseurs. Eric Bailly expliquait ainsi mi-octobre dans un quotidien sportif national:
Avec Tudor, c'est marquage individuel sur ton gars partout où il part, donc c'est vrai que c'est différent de ce dont on a l'habitude. Ce n'est pas facile, il faut s'adapter. Ce n'est pas évident de tout le temps suivre, de courir, ce sont des kilomètres à faire, des sprints.
Chez Bielsa, le marquage individuel était la base de son pressing haut. Ainsi, derrière Gignac en chasseur de relance adverse, Thauvin et Ayew étaient au marquage de leur latéral et cela se poursuivait sur toutes les lignes de l'équipe. Bien sûr, ce pressing était plus extrême que celui pratiqué aujourd'hui et Bielsa, qui en avait conscience, désirait se ménager une supériorité numérique dans l'axe de la défense pour pallier à son extrémisme. C'est pourquoi son schéma tactique passait du 4-2-3-1, lorsque l'adversaire alignait un attaquant de pointe, au 3-3-3-1, quand l'équipe adverse jouait avec 2 attaquants. Tudor, lui, ne s'adapte pas et considère que c'est à son adversaire de s'adapter à son équipe alignée en 3-4-2-1.
À la récupération du ballon, les consignes des deux coachs sont aussi très similaires. Elles collent parfaitement à la devise du club, notre fameux “Droit au but”, puisqu'aussi bien l'argentin que le croate prônent un jeu vertical à la récupération. L'objectif est de déclencher des attaques rapides pendant les phases de transition pour profiter des espaces entre les lignes adverses avant que le bloc ne se reforme. Hier, c'était les courses de Benjamin Mendy et Dja Djédjé qui permettait cette verticalité. Aujourd'hui, ce sont celles de Tavares et Clauss. Il faut noter quand même que cela aboutissait quand même à beaucoup plus de frappes du temps de Bielsa. Payet évoluait alors en meneur de jeu derrière Gignac. Il avait délivré 16 passes décisives cette saison-là!
Selon moi, la principale différence entre les principes des deux entraîneurs se situe dans les phases de possession du ballon où Bielsa privilégiait le mouvement permanent et le déséquilibre afin de créer en permanence au moins un joueur libre et progresser entre les lignes par sa recherche. En revanche, Tudor tient à conserver un équilibre structurel dans son organisation, les dépassements de fonction de Mbemba, par exemple, étant systématiquement compensés par un membre du double pivot Rongier ou Veretout, lui-même devant être compensé par l'un des milieux offensifs Guendouzi ou Harit. Le dernier match à Monaco a d'ailleurs vu cette compensation non réalisée lors du deuxième but monégasque.
Cette similitude globale dans les principes de jeu aboutit logiquement à une statistique de possession du ballon quasiment égale : 56,69 % de possession pour l'OM de Bielsa pour 56,2 % pour celui de Tudor toutes compétitions confondues.
Management et communication
Sur le plan du management, on retrouve chez les deux coachs un tempérament de feu. En cela, ils sont marseillais matin, midi et soir, de long en large et en travers ! On se souvient tous de l'anecdote où Marcelo Bielsa en est venu aux mains avec le traducteur choisi par le club, l'inoubliable Fabrice Olszewski. Igor Tudor a vu ses premières semaines jalonnées d'altercations que ce soit à l'entraînement, notamment avec Gerson, ou à la mi-temps du match amical contre le Milan AC avec Guendouzi. Une main de fer donc pour chacun.
L'utilisation d'un groupe de joueurs restreint est un autre point commun entre les deux coachs. Ainsi, lors de la saison 2014-2015, seuls 13 joueurs de champ ont un temps de jeu de plus de 1 000 minutes sur l'ensemble de la saison, soit 41 matchs officiels. Cette saison, seuls 13 joueurs de champ ont un temps de jeu supérieur à 450 minutes toutes compétitions confondues, soit 21 matchs. Sur ce plan-là, c'est du mimétisme !
De prime abord, la communication d'Igor Tudor semble plus ouverte dans sa forme. Évidemment, lui, qui a été un joueur international croate, est plus à l'aise devant les médias. Il bénéficie de plus, contrairement à El Loco, d'un traitement nettement plus favorable des médias français qui s'étaient montrés coupables d'un délit de sale gueule inédit avec l'entraîneur argentin. Mais cette communication plus ouverte sur la forme est en trompe-l'œil. En effet, qui ne se souvient pas que Marcelo Bielsa communiquait son onze titulaire deux jours avant le match lors de la conférence de presse d'avant match ? La première fois, l'ensemble des journalistes, et, avouons-le, nous-mêmes supporters avons halluciné devant tant de zèle. Cette saison, le groupe retenu par Igor Tudor n'est connu qu'à quelques heures du match. Tout ce suspense est en complet décalage avec la composition de l'équipe qui tombe une heure avant le match et qui, sauf blessure ou suspension, est toujours la même. En définitive, aucun des deux entraîneurs n'est adepte du turnover, ou des changements surprises dans la composition de départ.
Philosophie véhiculée
Les détracteurs français de Bielsa lui reprochent souvent de ne pas avoir un palmarès plus long qu'un jour sans pain. L'ancien des Newell's Old Boys n'a jamais caché qu'il joue un football qui mérite le plus de gagner. Selon lui, c'est de cette manière que ses équipes ont le plus de chances de gagner leurs matchs. La réalité est que sa recherche de déséquilibre maximise aussi les risques d'être puni les jours sans réussite.
Bielsa a très bien défini son idée du football lors deux conférences de presse lors de son passage à l'OM. Fin août 2014, il précise :
J'essaie de montrer comment on peut produire du beau jeu et être efficace et je me base sur le talent des grands joueurs... Finalement, ce qui nous unit, c'est la joie de partager l'expression de gestes techniques superbes, surtout quand les joueurs sont de l'équipe que l'on soutient. Malheureusement, au niveau de l'émotivité, ça a été déformé. Le succès écrase tout le reste, au détriment du facteur esthétique. C'est ce qui a éteint un peu la pureté originelle du football.
En mai 2015, lors de la conférence de presse précédant le dernier match de la saison contre Bastia, Bielsa livre encore un vibrant plaidoyer pour le football comme véhicule d'émotions fortes :
Nous qui passons par le foot, on croit que la récompense, ce sont les trophées et l'argent. Mais il y a un troisième élément de valeur incalculable, n'étant pas nécessairement une conséquence des titres et de l'argent, qui est la capacité à provoquer des émotions, à établir les liens entre une équipe et ses supporters. Si quelqu'un gagnant des titres et de l'argent ne pouvait pas profiter de ces liens établis, ce travail n'en vaudrait pas la peine. L'idéal, c'est l'émotion, les titres et les honoraires. Et si moi je devais ne choisir qu'une seule chose, je choisirais les émotions car on ne peut pas les remplacer.
Du grand Bielsa !
Comment Igor Tudor voit son rôle et quelle est sa philosophie, son idée du football ? Il a eu l'opportunité de l'exposer récemment, plus succinctement que l'argentin, lors de la conférence de presse qui a précédé la victoire à Monaco :
Je pense que la clé de mon travail n'est pas de dire : il faut gagner et avoir des victoires. Le plus important, c'est d'amuser le public et procurer des émotions... Que les gens se disent que l'on a tout donné. Je ne pense pas qu'aux victoires.
Discours "Bielsiste" sans aucun doute !
Ce qui est remarquable, au-delà des mots, ce sont les faits. Deux jours après ces mots, l'OM de Tudor nous procurait à Monaco des émotions qui ressemblaient fort à celles provoquées lors de la victoire à Caen sous les ordres de Bielsa. Dans le scénario, avec la victoire arrachée, dans le pressing, les occasions franches pas assez concrétisées, la volonté de croire et de tout faire pour aller chercher la victoire. Dans la joie extériorisée par Tudor, son partage avec son groupe, le partage de cette allégresse entre le groupe et les supporters. Tout y est !
Je ne sais pas si la Croatie est l'Argentine de l'Europe. Mais je suis désormais convaincu qu'il y a beaucoup de Bielsa dans Tudor ! D'ailleurs, si Igor Tudor s'appelait Carlos Tudos et était de nationalité argentine ou brésilienne, il aurait un crédit et une réputation dingue. Seulement Igor est croate et seul Marseille peut voir le Bielsa en lui !